Pourquoi "Camillo" ?
Ce nom ne doit rien au hasard. Il résonne comme un hommage discret à Don Camillo, le célèbre personnage incarné par Fernandel — ce prêtre droit, tenace, tendre et incorruptible.
Comme lui, Camillo est un homme de conviction, un homme seul parfois, mais jamais amer.
Ils partagent une même force tranquille, une même fidélité à leurs principes, une même humanité.
Dans une Belgique libérée du confinement post-pandémique, un dîner chez Pat, en pleine campagne, tourne au règlement de comptes. Camillo, un esprit libre et sceptique, se heurte à la colère de son ami Minou, excédé par son refus de se faire vacciner. Thérèse, l’épouse conformiste de Minou, et l’hôte Pat assistent à l’escalade, tandis que les échos des médias anxiogènes amplifient la tension. Ce soir-là, Camillo comprend que ses prises de position, autrefois partagées sur les réseaux sociaux, ont creusé un fossé avec ses amis, dont Bibi et Cléa, qui l’avaient mis en garde contre son franc-parler.
Exclu et calomnié, traité de complotiste par son ancien cercle, Camillo se retrouve isolé. Blessé mais déterminé, il crée un blog pour exprimer sa vérité sur les divisions sociales, la peur instrumentalisée et ses amitiés brisées. Ses écrits, respectueux mais sans concession, secouent ses anciens proches, comme Véra, qu’il croise par hasard à Bruxelles. Elle lui révèle leur colère, mais aussi leur accusation de lâcheté, un coup dur pour Camillo, qui s’était tu par loyauté.
Peu à peu, Camillo se reconstruit. Il rencontre Lise, une âme libre, lors de conférences dans un bistrot bruxellois, où l’on débat sans crainte des médias, de la santé ou du climat. Leurs balades près de la Gare centrale deviennent un refuge, un espace de liberté retrouvée. À travers l’écriture et de nouveaux liens, Camillo apprend à accepter la perte de son passé tout en embrassant un avenir où sa voix compte. Une histoire poignante sur la fracture sociale, la quête de vérité et la résilience face à la stigmatisation.
Toute ressemblance avec situation existante serait purement fortuite et involontaire.... 😇
Camillo adorait cette scène dans Le Magnifique, celle où François Merlin, l’écrivain incarné par Belmondo, transformait chaque contrariété de sa vie réelle en aventure romanesque. Il imaginait, dans ses pages, la réaction parfaite, héroïque, brillante, face aux gens qui l’agaçaient. La cigarette en moins, Camillo se retrouvait tellement en lui. Lorsqu’il écrivait, il dialoguait avec ses amis en pensée ; il réinventait leurs échanges, il leur répondait enfin comme il aurait voulu le faire, avec plus de lucidité, parfois même avec une pointe de sarcasme qui lui échappait dans la réalité. Écrire lui offrait ce recul délicieux, cette liberté de recomposer le monde à sa façon, comme Merlin le faisait avec ses personnages. Ainsi, Camillo s'amusait, il se sentait moins seul, et ses mots devenaient le lieu où il se réconciliait—ou réglait ses comptes—sans jamais blesser personne. Il l'espérait !
La tension grimpait en Véra, sourde et brûlante. Camillo pouvait bien aligner ses « vérités » sur le papier, elles ne passaient pas pour tout le monde. Et surtout pas pour eux. D’ordinaire si posée, Véra sentait quelque chose se déchirer à l’intérieur.
– Tu n’as pas le droit d’écrire ça, Camillo. C’est… c’est ridicule, lâcha-t-elle d’une voix qui tremblait malgré elle.
Camillo releva la tête d’un coup, les yeux écarquillés, comme si on venait de le gifler.
– Pas le droit ? répéta-t-il, incrédule. Attends, je rêve ! Mais comment j’ai pas le droit ! Je suis l’auteur quand même, non ! J’écris ce que c’qui m’plait !
Il se leva, les veines du cou saillantes. Les mots sortirent comme une rafale :
– Très bien. Puisque c’est comme ça, j’arrête. Terminé. Plus une ligne. La machine ? Je la fous à la poubelle demain matin. Et je serai enfin libre, tu entends ? Libre !
Il y avait dans sa voix cette note théâtrale et désespérée des grandes déclarations qu’on sait déjà, au fond, qu’on ne tiendra jamais.
Le ton se fit plus calme, place était faite aux confidences. Camillo déclara qu’il s’en irait. Véra un peu déçue, au fond j’aime ce que tu écris.
Le silence retomba, lourd mais plus doux, comme une couverture qu’on pose sur une dispute encore tiède. Camillo se rassit lentement, les épaules affaissées.
– De toute façon, je vais partir, murmura-t-il. Je prends le train, demain ou après-demain. Je m’en vais loin d’ici. Loin de tout ça.
Sa voix n’avait plus rien de la colère d’avant ; elle était basse, presque lasse, avec cette pointe de défi qui n’osait plus se montrer.
Véra resta un instant sans répondre. Elle s’assit à côté de lui. Quelque chose dans sa gorge se dénoua.
– Tu sais… au fond, on s’en fout de ce qu’ils pensent, dit-elle doucement. Vraiment. Moi, j’aime ce que tu écris.
Elle laissa les mots flotter entre eux, simples, nus, sans armure. Camillo tourna la tête vers elle ; vraiment. Ses yeux étaient rougis, mais il y avait autre chose dedans. Du soulagement, peut-être. Ou le début d’un pardon.
--- 😇 ---
Extraits... (Désordonnés, et pas forcément repris)
Le passé avait beau s'éloigner, il revenait toujours par bribes.
Le téléphone sonna. C’était Nadia.
— Comment vas-tu, Camillo ? demanda-t-elle d’une voix hésitante.
Un silence, puis, presque à regret :
— Je me fais messagère de mauvaise nouvelle aujourd’hui… C’est pour t’annoncer le décès de Dieudonné.
Camillo resta un instant sans voix. Dieudonné. Cet homme si charmant, si généreux, celui par qui tout avait commencé.
C’est lui qui, jadis, avait monté l’atelier de chant. Grâce à lui, tout le petit groupe s’était formé — parfois directement, parfois par ricochet. Le noyau dur, comme disait Minou, s’était soudé autour de ce rendez-vous hebdomadaire. Et ces soirées-là… quelles soirées ! Les scènes ouvertes où chacun tremblait avant de chanter sa chanson, la gorge serrée, le cœur battant.
Dieudonné à la guitare. Cléa et sa voix magnifique. Minou, audacieux, toujours prêt à choisir les morceaux les plus périlleux. Thérèse, fébrile mais fidèle, qui n’aurait jamais osé chanter seule sans l’encouragement des autres. Véra, l’anglophone du groupe, fidèle à son rock et à sa pop pleine d’énergie. Et Bibi, derrière les manettes, qui réglait les micros et les retours, donnant à chacun l’illusion d’être un artiste accompli.
Et puis Camillo, lui, dans son registre préféré : la chanson française, où il mettait tout ce qu’il n’osait pas dire.
Sans Dieudonné, rien de tout cela n’aurait existé. C’était lui, l’âme du lieu, celui qui savait reconnaître les âmes compatibles, les rassembler, leur donner confiance. Il avait le don rare de faire naître l’audace chez les timides, de transformer les silences en émotions partagées. C’est d’ailleurs pour cela que Camillo s’était inscrit.
Ces moments-là, on ne les vit qu’une fois. Ils sont comme des éclats suspendus dans le temps, des bulles d’humanité. Dieudonné avait offert cela à chacun d’eux. Camillo sentit une gratitude profonde monter en lui. Il se disait que tous les souvenirs, tous les liens, toutes les amitiés — même celles qui s’étaient brisées — portaient quelque chose de lui.
Il ne désira pas connaître les circonstances du décès. À quoi bon ? Savoir s’il avait souffert, s’il était seul, ou s’il avait eu le temps de dire adieu, n’aurait rien changé. Cela n’aurait fait qu’ajouter une peine inutile à la sienne.
Il préférait garder en lui l’image de Dieudonné vivant — rieur, chaleureux, les bras grands ouverts pour accueillir les nouveaux venus, avec cette façon de vous donner l’impression d’être unique. Il voulait se souvenir de sa voix, de ses « allez, vas-y, tu peux le faire ! » qui donnaient du courage à ceux qui tremblaient encore. Il voulait se rappeler les rires, les verres partagés après les répétitions, la lumière complice dans les regards.
Camillo se disait que la mort n’efface rien quand le souvenir reste vibrant. Alors il choisit de ne pas chercher plus loin, de laisser le mystère entourer la fin de Dieudonné. Les souvenirs continuaient de respirer en lui — et avec eux, toute l’affection qu’il portait encore à ses amis, même ceux qu’il avait perdus en route.
Après avoir raccroché, Camillo se demanda s’il devait écrire tout cela dans son blog. Il voulait simplement rendre hommage à un être qui avait compté. Il le ferait avec sincérité, avec pudeur, comme on dépose une fleur sur une tombe.
Mais il savait que ses anciens amis le liraient. Ils lisaient toujours. Alors, qu’en feraient-ils ?
Y verraient-ils une main tendue, un signe d’apaisement ? Ou bien encore une tentative pour reprendre la parole, pour se rappeler à eux ?
Camillo soupira.
Il n’y avait pas de bonne façon d’écrire, ni de bonne façon d’aimer. Il décida qu’il publierait quand même, parce que la mémoire de Dieudonné méritait d’être partagée.
Pour apaiser son hésitation, il imagina Don Camillo dans une conversation avec Jésus.
— De grâce, n’y vois pas de malice !
Toujours cette manière à lui de mettre un peu d’ordre dans ses pensées.
— Alors, Camillo, tu veux encore écrire ? demanda doucement la voix, quelque part entre la tendresse et le sourire.
— Oui… mais je ne sais pas si je dois, répondit-il.
— Pourquoi donc ?
— Parce qu’ils le liront. Tous. Je voudrais que mes mots ne prêtent à aucun malentendu. Ce n’est pas ça. J’aimerais juste dire merci à Dieudonné.
— Alors dis-le.
— Merci, Dieudonné, Vas chanter avec les anges et Repose en paix, murmura-t-il.
Nous t'avons tant Aimé !
Un mépris fugace traversait Camillo avant de s’évanouir aussitôt. Le virus s’était apaisé, mais la pandémie et ses séquelles persistaient, imputables, pensait-il, à tous ces fervents adeptes des médias officiels. Cela lui laissait encore un goût amer, et la digestion en paraissait bien lointaine.
Ou bien Camillo devait-il peut-être laisser une chance au renouveau, être accueilli avec la chaleur qu’il avait connue en venant chanter dans cette salle ? Peut-être que ce mépris qu’il sentait monter en lui, il était le seul à le nourrir. Peut-être que l’heure était venue d’arrêter d’y penser ? Peut-être que cette digestion si lointaine, il en portait aussi la responsabilité et qu’une occasion de se parler s’offrait enfin. La pandémie n’était pas seulement un virus en circulation ; elle avait divisé, on n’osait plus dialoguer, la réconciliation restait à organiser des deux côtés et Camillo ne devait pas être celui qui la bloque.
Tandis qu’il y songeait, la chanson « Operator » de Jim Croce passait à la radio, ce titre que Camillo interprétait en trio avec Minou et Véra, Dieudonné les accompagnant à la guitare. Était-ce un signe ?
Camillo la regarda longuement, puis soupira doucement.
— Tu sais ce qui m’a le plus blessé ? Ce n’est pas la colère de Minou. Ni même les étiquettes qu’on m’a collées. C’est leur silence. Leur façon de s’unir contre moi comme si j’étais devenu une menace.
Et maintenant, ils disent que je suis lâche ? Alors que je suis resté calme ? Que je me suis retiré sans un mot ?
Ils ont crié, accusé, calomnié. Et c’est moi qu’on appelle lâche ?
Véra hocha la tête.
— Parce que tu as répondu. Ils n'ont pas accepté d'être exposés publiquement et face à eux même, tels qu'ils sont. Parce que tu ne t’es pas excusé de penser autrement.
Camillo sourit avec amertume.
— Voilà le crime : ne pas se renier.
Le silence revint. Mais ce silence-là était réparateur. Il ne pesait plus comme un jugement, il enveloppait deux êtres qui, enfin, s’étaient retrouvés dans la vérité nue.
Camillo resta figé, surpris par les mots de Caroline.
— Autre chose ? répéta-t-il, croyant d’abord à une simple hypothèse.
Mais le ton de Caroline, plus grave qu’à l’accoutumée, lui fit comprendre qu’elle parlait d’une idée qu’elle avait longuement mûrie.
— Oui, Camillo… quelque chose qui ne concerne ni Minou, ni la pandémie. Quelque chose qui te concerne, toi.
Il la regarda sans comprendre.
— Moi ?
Caroline hocha lentement la tête.
— Je crois qu’il existe un sujet, une chose dont personne n’ose te parler. Quelque chose d’inconfortable, qu’ils préfèrent éviter. Alors, plutôt que de t’en parler, ils gardent leurs distances. C’est plus simple pour eux.
Camillo sentit un léger vertige. Il tenta de rire, mais son sourire demeura suspendu, hésitant.
— Tu veux dire qu’ils me fuient… pas à cause de ce que j’ai dit, mais à cause de ce que je représente ?
— Peut-être, répondit Caroline. Peut-être qu’ils craignent d’aborder quelque chose de toi qui les mettrait mal à l’aise, ou qui pointerait une vérité qu’ils n’ont pas envie d’affronter.
Camillo resta pensif. Ce n’était peut-être donc pas seulement la colère de Minou.
Ce serait autre chose — un non-dit qui s’était transformé en mur invisible entre lui et les autres.
Camillo la regarda longuement.
— Tu ne les connais pas, Caroline. Mais si tu les connaissais, je serais convaincu que toi aussi, tu me cacherais quelque chose.
Camillo savait que Véra n’avait pas toujours été élogieuse à son égard. Jamais ouvertement — pas devant lui. Mais il le devinait dans certaines conversations en apparence anodines, à travers quelques recoupements, des déductions discrètes. Cela le touchait parfois, bien sûr. Pourtant, cela n’enlevait rien à l’affection qu’il lui portait. L’humain est ainsi fait, se disait-il.
C’était sa manière à lui de tirer le portrait d’un ami : ne rien dire, laisser le temps façonner son regard. Sa douceur intriguait, elle cachait une forme de gravité, un respect tacite qu’on sentait qu’il ne fallait pas maltraiter. Son silence, surtout, parlait pour lui. Et ce silence-là signifiait beaucoup… un « beaucoup » dont Camillo ne parlait jamais.
Sauf avec Véra.
Elle seule avait droit à quelques confidences.
Elle seule en savait un peu plus sur lui.
...
Ce respect que Camillo inspirait, Minou l’avait maltraité, plus par la force des circonstances que par véritable intention. Pourtant, Camillo s’était senti obligé de réagir. Pour son intégrité, d’abord. Et puis parce que le rayon d’influence de Minou était large, trop large pour qu’il se taise. Pour entrer dans ce champ-là, son blog était devenu son meilleur outil — sa seule manière de reprendre sa place dans un récit qui s’écrivait sans lui.
il avait pris un autre chemin. Plus solitaire, plus lucide aussi. Les blessures l’avaient transformé. En quelqu’un qui ne s’accroche plus à ce qui s’effrite.
Camillo pensa : C’est peut-être cela, la destinée. Une simple loi naturelle qu’on ne soumet pas. Les gens s’approchent, se heurtent, s’éloignent — et rien ne sert de lutter contre ce mouvement-là.
Que pouvait-il encore attendre de ses anciens amis ? Il s’était déjà battu pour atteindre leur conscience, mais tout cela n’avait engendré que mépris et silence. Et maintenant qu’un signe lui parvenait enfin, il n’en ressentait plus le besoin. Ce désir autrefois brûlant s’était éteint.
Camillo ne forcerait rien. Il ferma simplement son ordinateur.
elle suivait. Toujours d’accord avec son époux, même quand il l’agaçait avec son besoin maladif d’approbation. « M’enfin Minou… », disait-elle souvent.
Dans les moments d’angoisse, Minou criait son nom — « Thérèèèèse ! » — d’un ton si particulier qu’il suffisait à décrire tout son état : un mélange de panique, de colère et de demande d’amour. Il posait une question, mais y répondait aussitôt. À sa place. Thérèse devait alors hocher la tête, valider, confirmer qu’il disait juste. C’était leur rituel, étrange et répétitif, presque comique vu de l’extérieur.
Les amis en riaient souvent, mais jamais devant lui. Jamais.
Parce qu’ils savaient trop bien ce que c’était, au fond : vivre auprès d’un Minou, c’était parfois comme marcher sur des œufs en espérant qu’ils ne se transforment pas en bombes. Et puis, chacun d’eux, d’une manière ou d’une autre, avait connu ce moment où Minou avait posé sur eux ce regard plein de certitude, celui qui ne supportait ni nuance, ni contradiction.
Le débat battait son plein. La salle du bistrot, d’ordinaire calme, ressemblait à une ruche en effervescence. Les verres tintaient, les chaises grinçaient, et au centre, Henry Goriste, le fameux, trônait tel un prophète de comptoir. Son tee-shirt portait fièrement l’inscription : « Je ne crois que ce que je vois », ce qui, compte tenu de la discussion, était déjà un gag en soi.
— Mais enfin, réfléchissez !, s’écria-t-il en tapant sur la table, faisant trembler les cacahuètes. Si la Terre était ronde, on tomberait, non ?
Un murmure parcourut la salle.
Pascale Dejour leva les yeux au ciel, Caro faillit s’étouffer avec sa gorgée d’eau pétillante, et Camillo, lui, hésitait entre la fascination et le désespoir poli.
— Et les photos de la NASA ?, lança un homme au fond.
— Des montages !, répondit Henry, triomphant. La NASA, c’est Hollywood avec des fusées. Ils veulent qu’on croie à leurs histoires pour justifier leurs budgets !
— Et les satellites ?
— Accrochés à des ballons météos. C’est évident. Les vrais savent.
Un silence perplexe s’installa. Même le serveur, en train d’essuyer un verre, s’arrêta pour écouter.
Camillo, amusé, osa une remarque :
— Et alors, Henry, les avions, ils tombent du bord quand ils vont trop loin ?
Henry le fixa avec gravité, comme un maître zen face à un élève borné.
— Pas du tout. Le bord est protégé par un mur de glace. L’Antarctique. Une barrière naturelle pour empêcher les curieux d’approcher. C’est d’ailleurs pour ça que toutes les missions scientifiques là-bas sont secrètes.
Caro, ne tenant plus, éclata de rire.
— Ah oui, bien sûr, et les pingouins sont les gardiens du portail, c’est ça ?
Henry ne broncha pas.
— Exactement. Pas les pingouins, mais les militaires déguisés en pingouins. Faut se renseigner, madame.
À ce moment précis, Pascale leva la main, la voix douce mais ferme :
— Henry, on t’aime bien, mais même pour un débat libre, y a des limites à la gravité… ou plutôt à son absence.
Un éclat de rire général secoua le bistrot.
Henry, impassible, but une gorgée de son demi, redressa les épaules et conclut avec dignité :
— Riez tant que vous voudrez. Quand la vérité éclatera, vous tomberez tous… du bord du monde.
Et sur ces mots, il remit sa casquette « Flat & Proud » et quitta la salle, laissant derrière lui un silence amusé et quelques têtes secouées d’incrédulité.
Camillo, un sourire en coin, murmura :
— Au moins, lui, il n’a pas peur du vide.
Camillo reprit, avec un léger tremblement dans la voix.
— Dès que j’ai compris qu’ils me calomniaient, que des mots circulaient derrière mon dos, j’ai ressenti le besoin d’écrire. C’était plus fort que moi. Alors, j'ai créé un blog, et j’ai commencé à publier mes articles, des réflexions, des analyses… Simplement pour poser les choses, pour évacuer ma frustration, ma vérité. Avant de pouvoir parler comme je le fais ici, il fallait que ça sorte, quelque part.
Il esquissa un sourire triste.
— Écrire me suffisait. Mais, au fond, j’aimais l’idée que mes amis puissent tomber dessus, qu’ils lisent mes mots, qu’ils comprennent, enfin, ma version. Qu’ils voient que je n’étais ni fou, ni dangereux, juste… cohérent.
Camillo marqua une pause, puis reprit d’un ton plus calme :
— Et un jour, j’ai appris qu’ils lisaient tout. Mes articles étaient devenus leur sujet principal de conversation. Ils s’en offusquaient, bien sûr, s’en moquaient même parfois. Mais jamais, pas une seule fois, ils ne se sont remis en question.
Sa voix se fit plus dure :
— Non, ils préféraient parler de moi, plutôt que de ce que je disais. Ils s’attardaient sur ma façon d’agir, sur le fait que je m’exprime publiquement. D'être exposés. Ils disaient que c’était lâche, que je n’osais pas les affronter en face. Alors que c’était précisément parce qu’ils ne voulaient plus m’écouter que j’avais dû trouver un autre moyen.
Camillo en parlait avec Véra, au détour d’une longue marche. Ils souriaient presque de l’ironie : Minou, avec sa passion dévorante pour le cinéma, pouvait citer les dialogues de mémoire, disséquer les plans-séquences, parler des acteurs avec une érudition agaçante… mais il semblait hermétique au sens profond des œuvres.
Camillo venait de revoir I comme Icare d’Henri Verneuil. « Comment, disait-il, peut-on passer à côté d’un tel film ? » Ce chef-d’œuvre mettait en lumière les dérives du pouvoir, la manipulation des masses, la fragilité de la justice face aux intérêts supérieurs. Tout y était : les abus d’autorité, la corruption, les apparences qui écrasent la vérité… et pourtant, Minou n’en retirait aucun questionnement.
— Et ce n’est pas le seul, ajouta Camillo en songeant à d’autres films qui avaient tenté, chacun à leur manière, d’ouvrir les yeux.
Les Hommes du président de Pakula, Network de Sidney Lumet, Brazil de Terry Gilliam, The Truman Show de Peter Weir, Eyes Wide Shut de Kubrick, sans oublier Matrix des Wachowski.
— Et malgré tout ça, conclut Camillo, rien ne semblait percer la carapace de Minou. C’était comme si l’art lui glissait dessus. Il s’enivrait d’images, mais pas de sens. Il regardait ces films avec les yeux… mais jamais avec l’âme.
Véra hochait doucement la tête, Polux trottinant devant eux. Elle comprenait parfaitement. Peut-être, pensait-elle, que Minou n’allait pas au cinéma pour chercher la vérité, mais seulement pour se protéger d’elle.
Camilo souriait devant ce paradoxe : Minou se présentait en amoureux du cinéma engagé, mais son engagement s’arrêtait là où commençait sa propre zone d’inconfort. On aurait pu résumer toute son existence à cela : vivre à côté, mais jamais au cœur des choses. Toujours à la lisière du courage, là où l’on ne risque rien, et pourtant avec la posture de celui qui sait.
Ce manège, Minou l’entretenait sans relâche, comme un processus vital. Il avait besoin de son entourage pour se rassurer, pour valider ce théâtre intérieur qu’il jouait sans même s’en rendre compte. Et gare à celui qui osait troubler cette fragile mise en scène : Camillo était bien placé pour le savoir.
Lui, qui avait compris depuis longtemps qu’on ne gagne rien à se mesurer frontalement à ce genre de paradoxe. Il observait, il notait, et il s’éloignait plutôt que de tourner en rond dans ce manège infernal. Mais ça, c'était avant la pandémie.
Tous, finalement, gravitaient autour de Minou. Non pas par amitié véritable, mais par motifs personnels, des raisons propres, intimes, qui n’avaient rien à voir avec lui. Et pourtant, chacune de ces raisons, chacun de leurs compromis, nourrissaient sa sérénité.
Finalement, la vérité, leur vérité, n’était jamais qu’un reflet des circonstances, ajustée aux besoins, aux peurs ou aux intérêts de chacun. Elle n’avait rien d’absolu. Thérèse l’adaptait pour préserver son confort, Bibi pour continuer à croire qu’il réunissait les siens, Cléa pour protéger son équilibre familial, Véra pour éviter le conflit. La vérité devenait alors une monnaie d’échange, un arrangement tacite qui tournait toujours autour de Minou, parce qu’il leur servait de pivot.
— Trop de gens ont compris, murmura Camillo. Et quand on a compris, il n’y a plus de retour en arrière possible.
Il parla alors du film Matrix, de la scène fondatrice. Le choix entre la pilule rouge et la bleue. Il expliqua pourquoi Keanu Reeves, dans le rôle de Neo, avait pris la pilule rouge — celle qui révèle le réel, même s’il est dur, même s’il dérange. Prendre la bleue, c’était rester dans l’illusion. Prendre la rouge, c’était renoncer au confort du mensonge pour se confronter à la vérité nue.
Caroline comprenait. Elle aussi avait choisi. Parce qu’elle n’avait pas pu faire autrement.
Ils savaient tous deux que ce ne serait pas facile. Qu’il n’y aurait pas de victoire claire, ni de chemin tout tracé. Mais s’il fallait s’aligner, alors ce serait à cette vérité-là. Celle qui dérange, qui divise, mais qui sauve une part de soi.
Le monde changeait. En bien ? En mal ? Ils n’en savaient rien. Mais il changeait. Et ce changement, ils voulaient l’accompagner — avec lucidité, avec courage. Vers toujours plus de vérité.
...
Véra venait de lire la dernière publication de Camillo. Elle circulait beaucoup, provoquait des remous, des réactions en cascade — partages enthousiastes, commentaires acerbes, silences éloquents. Et comme toujours, Véra n’avait pas commenté. Elle avait lu, relu, gardé pour elle ses pensées. Mais ce jour-là, tandis qu’ils marchaient lentement au bord du canal, sous un ciel de fin d’été, elle se risqua.
Polux trottait devant eux, museau au ras du sol, absorbé par mille odeurs. Parfois, il s'arrêtait net, comme s'il méditait sur l'existence d'une autre créature à quatre pattes, puis reprenait sa marche, paisible.
Véra, curieuse, se tourna légèrement vers Camillo, la voix basse, presque timide, comme si elle ne voulait pas troubler le calme de l'eau :
— Dis… dans ce que tu as publié hier… tu parles de la fenêtre d’Overton, non ? C’est quoi, exactement ?
Camillo sourit. Il aimait ces moments où Véra laissait entrevoir sa soif de comprendre. Il prit le temps de répondre, comme il le faisait toujours, avec des mots simples, pesés, clairs.
Il lui expliquait que la fenêtre d’Overton, c’était un concept utilisé pour décrire l’ensemble des idées qu’une société juge acceptables à un moment donné. Tout ce qui en sortait — trop avant-gardiste ou trop archaïque — était considéré comme impensable ou extrême. Mais cette fenêtre pouvait bouger. Et elle bougeait souvent. Par petites touches, sous l’effet des médias, du cinéma, des institutions, des réseaux sociaux, du langage, des débats publics, parfois même de la fiction. Ce qui était impensable hier devenait acceptable aujourd’hui, voire souhaitable demain.
Il lui parlait de cette mécanique insidieuse, lente mais efficace, qui déplaçait les repères moraux, les cadres de pensée. Non pas en imposant des lois, mais en changeant les perceptions. En modifiant ce que les gens croyaient être « normal ». Il lui disait qu’à ses yeux, c’était là l’un des plus puissants outils de manipulation : faire croire que l’on pense librement, alors qu’en réalité, on ne pense que dans le cadre qu’on nous a glissé sous les yeux.
On peut alors supposer que ces mouvements pour lesquels beaucoup s'engagent aujourd'hui a été subtilement suggéré pour établir une nouvelle norme.
Véra l’écoutait en silence. Elle hocha lentement la tête, comme si quelque chose se mettait en place en elle.
— Alors… on peut croire qu’on choisit, mais en fait… on ne fait que marcher dans un couloir ?
Camillo répondit d’un regard, grave mais bienveillant. Oui, c’était exactement ça.
Et dans ce couloir, ajoutait-il, il fallait parfois avoir le courage de s’arrêter… ou même de faire demi-tour.
Véra, les yeux plissés par la réflexion, restait silencieuse un moment. Puis elle reprit, presque à voix basse, comme si elle craignait de troubler l’instant :
— Tu as un exemple ? Quelque chose que tu as vécu… où tu as vu cette fenêtre bouger ?
Camillo prit une inspiration lente. Oui, il en avait un. Il en avait même plusieurs. Mais un en particulier lui revenait, clair, implacable.
— Oui… pendant la pandémie.
Il parlait doucement, mais avec cette gravité qui pesait dans chaque mot. Il expliquait comment, au début, remettre en question certaines mesures était encore toléré. Les débats existaient. On pouvait douter, poser des questions, tenter de comprendre. Et puis, peu à peu, la fenêtre s’était refermée. Ce qui était autrefois une opinion devenait une hérésie. Douter, c’était être dangereux. Penser autrement, c’était être complotiste, d'extrême droite. Refuser, c’était devenir ennemi public.
Il raconta comment ses amis, Minou, Thérèse, Cléa… même Véra parfois, avaient commencé à se méfier de lui. À l’éviter. Il n’avait rien crié, il n’avait insulté personne. Il avait juste posé des questions. Mais ces questions-là étaient sorties du cadre. Elles étaient devenues inacceptables. Impensables.
— Et ce qui me frappait le plus, dit-il en la regardant, c’était qu’ils ne se rendaient même pas compte que leurs réactions changeaient. Ils pensaient encore réfléchir librement. Mais la fenêtre avait bougé. Juste assez pour les faire passer de l’inquiétude au rejet, sans qu’ils en aient conscience.
Véra resta silencieuse. Elle regardait ses pieds, les mains croisées devant elle. Puis elle murmura :
— C’est effrayant. Parce qu’on ne voit rien venir.
Camillo acquiesçait doucement.
— Non… On croit juste être du bon côté.
— Et donc, celui qui n'en a pas conscience, n'imagine pas être le manipulé, et s'arroge le droit de molester son contradicteur ?
Camillo hocha lentement la tête. Véra venait de toucher le cœur du problème.
— Oui, exactement, dit-il. Celui qui n’a pas conscience d’être influencé… ne se pense jamais manipulé. Il croit défendre la vérité. Il croit agir en pleine conscience. Et c’est précisément ce qui le rend si dangereux. Parce qu’il agit avec conviction.
Il marqua une pause, puis ajouta, plus doucement :
— Et cette conviction lui donne le sentiment d’être légitime. Il ne débat plus, il corrige. Il ne contredit plus, il discrédite. Il ne discute pas, il accuse. Il ne voit pas qu’il devient violent — pas forcément physiquement, mais symboliquement, moralement. Il se donne le droit de faire taire, d’humilier, de rejeter. Parce qu’il croit défendre le bien.
Véra semblait songeuse. Son regard se perdit un instant vers les lumières du quai.
— Et toi, tu étais le contradicteur…
— Oui. Et j’ai vu leurs visages se fermer. J’ai senti leur agacement monter. Je suis passé de "Camillo, l’ami un peu original" à "Camillo, le danger". Mais je n’avais pas changé. Ce qui avait changé, c’était le cadre. Ce qu’on pouvait dire. Ce qu’il était encore permis de penser.
— Et eux, reprit Véra lentement, ils ne s’en rendent même pas compte…
— Non, répondit-il. Et c’est peut-être le plus grand triomphe du mécanisme : rendre les gens complices sans qu’ils le sachent. Les transformer en gardiens... d’une prison qu’ils croient être un refuge.
Camillo s’était arrêté un instant pour regarder Polux flairer les feuilles mortes. Le silence qui régnait entre lui et Véra était chargé d’une pensée encore inachevée. Puis, sans la regarder directement, il reprit doucement, comme s’il poursuivait une conversation intérieure.
— Tu sais, Véra… le manipulé, c’est rarement celui qu’on croit. Ce n’est pas celui qui pose des questions ou qui doute. C’est celui qui s’emporte. Qui réagit avec une violence émotionnelle soudaine. Qui hurle. Qui s’indigne sans nuance. C’est souvent lui, le plus profondément enraciné dans le système. Il croit défendre la vérité, mais il ne fait que rejouer ce qu’on a programmé en lui.
— Comme l’hypnotisé à qui l’on a soufflé une consigne : au signal, tu t’énerves. Et il s’exécute, sans jamais soupçonner que cette réaction n’est même pas la sienne.
Véra fronça légèrement les sourcils, attentive. Un demi-sourire lui effleura les lèvres, comme si une pièce venait de s’emboîter dans le puzzle.
— Tu parles de Minou, n’est-ce pas ?
Camillo tourna lentement la tête vers elle. Il marqua une pause.
— Non. Pas spécialement, répondit-il d’un ton neutre, avant de laisser échapper un petit rire. Mais… oui, en fait, ça lui colle parfaitement à la peau.
Il redressa un peu le dos, croisa les bras, et ajouta :
— C’est exactement ça. Une réaction au quart de tour, sans réflexion, sans recul. Tu le vois partir dans ses envolées, comme s’il avait un bouton rouge sous la peau, et quelqu’un s’amusait à appuyer dessus. À chaque fois que tu remets en cause l’ordre établi, bip, il explose. Et ce qui est fascinant, c’est qu’il croit que ça vient de lui. Qu’il est libre. Qu’il pense par lui-même. Alors qu’il récite, qu’il réagit comme programmé. Ce n’est pas Minou qui parle. C’est la peur, la honte, la conformité, tout ça entassé et recraché sous pression.
— Celui qui a conscience du processus, poursuivit Camillo, il se tait souvent. Il observe. Il encaisse. Il sait qu’il n’aura pas les mots pour convaincre. Parce que tant que l’autre n’est pas lui-même entré dans un début de prise de conscience, toute tentative de dialogue est inutile. Tout ce qu’il dira sera retourné contre lui, réduit, ridiculisé ou diabolisé. On l’accusera de vouloir semer le trouble, alors qu’il tente simplement de montrer l’angle mort.
Il s’arrêta quelques secondes, regardant Polux s'en aller en trottinant.
— On ne peut pas faire évoluer une conscience de force, dit-il enfin. Elle ne se transforme que de l’intérieur… quand le moment est mûr.
Véra marchait en silence depuis quelques instants, puis elle s’arrêta, pensive, et demanda à voix basse, comme si elle craignait d’éveiller quelque chose de fragile :
— Et comment on fait, Camillo… pour sortir du conditionnement ?
Camillo sourit tristement. Ce n’était pas la première fois qu’on lui posait cette question, mais rarement avec autant de sincérité. Il prit une inspiration, puis répondit doucement :
— Il faut d’abord accepter qu’on puisse l’être. C’est le plus dur. La plupart des gens ne dépassent jamais ce cap. Ils préfèrent croire qu’ils pensent librement, qu’ils ne sont influencés par rien. Mais la liberté intérieure commence quand on reconnaît qu’on ne l’est pas encore.
Il marqua une pause, ses yeux fixés sur le sentier.
— Moi, j’ai commencé par jeter ma télévision à la poubelle. Littéralement. C’était radical, mais nécessaire. Ensuite, j’ai quitté les grands médias. Plus aucun canal qui me soit imposé. Je choisis désormais mes sources d'information. Je les vérifie, je les croise. Et au moindre doute, je les abandonne. Aucun média, aucun expert, aucun discours ne mérite ma confiance aveugle.
— En suite, observer nos émotions, celles qui provoquent des réactions fortes, disproportionnées. C'est un très bon outil d'évaluation.
Véra l’écoutait attentivement. Polux trottinait devant eux, insouciant.
Camillo poursuivit, d’un ton plus grave :
— C’est un chemin exigeant. Il ne s’agit pas de tout rejeter, mais de ne plus rien gober sans questionner. Il faut réapprendre à penser par soi-même. Et ça, personne ne le fait à ta place.
— « Tu crois qu’il reviendra un jour ? » demanda-t-elle enfin.
Camillo haussa légèrement les épaules. Son regard était devenu doux, mais résigné.
— « Peut-être. Mais pas tant qu’il pensera que revenir, c’est s’humilier. Il faut qu’il comprenne que revenir, c’est grandir. Mais il n’en est pas là. Pas encore. »
Ils restèrent là, tous deux dans le silence du crépuscule, entre lucidité et tendresse, là où les vérités les plus douloureuses peuvent enfin commencer à cicatriser.