Où sont les voix fortes, insoumises, nécessaires ? Où sont passés les artistes qui, jadis, dérangeaient l’ordre établi, dénonçaient les hypocrisies, questionnaient l’époque plutôt que de la servir ?
Coluche, Balavoine… Que diraient-ils aujourd’hui ? Auraient-ils droit de cité dans le débat public ? Ou seraient-ils, eux aussi, broyés par le rouleau compresseur de la conformité, de l’indignation sélective, du politiquement acceptable ?
L’absence de figures artistiques réellement subversives n’est pas un hasard. Elle est le reflet d’un climat culturel aseptisé, verrouillé, où l’engagement, pour exister médiatiquement, doit désormais cocher les bonnes cases, servir les bons récits, flatter les bons camps. L’artiste d’aujourd’hui, dans sa grande majorité, ne bouscule plus : il rassure. Il relaie ce qui est attendu, soutient ce qui est admis, critique ce qui est permis.
Mais à force de s’aligner sur le discours officiel — qu’il soit politique, médiatique ou idéologique — l’artiste ne participe-t-il pas, consciemment ou non, à un conditionnement des esprits ?
Ne devient-il pas un maillon de la fabrique du consentement (à lire), un acteur de cette mise en forme subtile des mentalités où l’on ne dit plus ce qu’on pense, mais ce qu’il est acceptable de penser ?
Car l’art, dans sa fonction première, ne se contente pas de divertir. Il confronte, Il éduque, il influence, il imprime des représentations mentales durables. Quand des dizaines d’artistes relaient en chœur les mêmes slogans, les mêmes causes — même légitimes —, sans espace pour la nuance ou la contradiction, ils ne forment plus une diversité d’opinions, mais un bloc homogène, un écho constant du discours dominant.
Il ne s’agit pas de leur reprocher leurs convictions. Mais de souligner qu’à force de vouloir être dans le "bon camp", l’artiste moderne participe à une perte d’indépendance intellectuelle et symbolique. Il devient ambassadeur de causes institutionnelles, caution culturelle de récits officiels, partenaire de campagnes "engagées" qui servent d’abord l’image des marques, des institutions, ou des gouvernements.
Et ceux qui sortent du rang ? Ceux qui interrogent vraiment, qui doutent, qui remettent en cause les narratifs dominants ? Ils sont marginalisés, caricaturés, ou tout simplement ignorés. L’artiste libre n’a plus de place. Ou il doit la reconquérir ailleurs : en marge, hors des grands médias, loin des subventions.
L’art qui ne dérange plus devient un simple outil de renforcement du réel, au lieu d’en être le miroir ou le contrepoids.
Et dans cette disparition progressive de la parole dissidente, c’est un peu de notre santé démocratique qui s’érode.
Alors, la question reste entière : pourquoi n’a-t-on pas remplacé les Balavoine, les Coluche, les Ferré d’hier ? Ou, qui sont-ils aujourd’hui ?
Ont-ils disparu faute de talents ? Ou bien avons-nous collectivement cessé de tolérer la liberté qu’ils incarnaient ?
À une époque où la conformité se dissimule derrière les apparences de l’engagement, peut-être est-il temps de redonner à l’art sa fonction première : bousculer, irriter, faire penser.
Pas penser comme il faut. Penser, tout court.
Carl Os
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